Lynn W Aas

 

Un tout grand merci à Gregory de Cock pour avoir partagé avec moi son travail.

 

<- Lynn Aas - 1944

Aujourd'hui ->

 

Lynn William Aas, fils de George Aas et Anna Olson, naquit le 4 juin 1921 à Benedict, comté de McLean, North Dakota. Il est de descendance norvégienne, ses quatres grands-parents étant originaires des régions de Skien, Trondheim et Tromsø. Troisième enfant du couple et entouré de ses deux frères et de ses trois sœurs, il grandit à la ferme paternelle. Le jeune garçon fréquenta l’école primaire locale ce qui ne l’empêcha pas de participer aux divers travaux agricoles et d’élevage pendant son temps libre. La famille ne fut pas riche, car la ferme ne générait que de faibles bénéfices. La grande dépression financière des années 1930 n’améliora pas la situation, Lynn dut manquer une année scolaire. Dans cette monotone région rurale, le jeune homme fréquenta de nombreuses personnes, elles aussi issues de l’immigration européenne, tels des Allemands, des Suédois, des Ukrainiens et bien sûr des Norvégiens. Devenu adolescent, il se rendit au collège et au lycée de Velva, ville éloignée de la propriété familiale. En 1940, une fois son parcours scolaire secondaire terminé, Lynn dut passer une autre année à la ferme, toujours à cause de difficulté financières. Toutefois, désireux de continuer des études, il s’inscrivit à l’automne 1941 à l’University of North Dakota, à Grand Forks.

 

Sur le chemin de la guerre :

Alors qu’il étudiait à l’université, Lynn s’engagea volontairement le 18 août 1942 dans la réserve de l’armée des Etats-Unis. Il reçut le matricule 17084245. Ce ne fut qu’en mars 1943 qu’on l’appela en service actif à Fort Snelling, Minnesota. De là, il partit suivre l’entrainement militaire de base à Camp Wheeler, Georgia, pendant cinq mois environ. Il réussit un test psychotechnique et intégra, au mois d’août, l’Army Specialized Training Program, une série de cours spécifiques et de formations poussées destinée à former des techniciens militaires hautement spécialisés. Pendant un peu moins d’un an, Lynn étudia à la section ingénierie au Massachusetts Institute of Technology (MIT) près de Boston, Massachussetts. Lynn était fier de faire partie de cet établissement de haute renommée. Du fait de sa participation à l’ASTP, Lynn fut automatiquement promu Private First Class.

Le programme fut réduit à partir de février 1944 afin de libérer du personnel pour rejoindre les forces combattantes. Pleins de regrets, Lynn se vit transférer d’office, au mois de juillet 1944, à la Dog Company, 2nd Battalion, 193rd Glider Infantry Regiment, 17th Airborne Division. Ce régiment d’infanterie transportée par planeurs fut officiellement créé le 16 décembre 1942, mais ne fut activé que le 15 avril 1943, à Camp Mackall, North Carolina, en même temps que la division commandée par le Major-General William Miley.

Le Pfc Lynn Aas ne connut pas la vie à Camp Mackall, près de Hoffman, North Carolina que la division avait quittée pour participer à de grandes manœuvres dans le Tennessee puis pour s’installer à Camp Forrest, près de Tullahoma, Tennesse, dès le 27 mars 1944. Il commança immédiatement l’entraînement spécifique destiné aux troupes aéroportées par planeurs et acquit l’esprit de corps avec ses nouveaux compagnons d’armes. Les marches, exercices, simulations et mises en condition eurent lieu de manière constante. Malgré son arrivée tardive, Lynn n’éprouva pas de problème particulier à s’intégrer dans sa nouvelle fonction de fantassin. Il n’eut pas l’occasion d’obtenir le brevet « parachute » mais décrocha néanmoins son brevet « glider ».

Le 14 août, le jeune homme apprit son départ pour l’Europe et transita brièvement par Camp Myles Standish près de Taunton, Massachussetts. Le 20 août, il embarqua à Boston à destination de Liverpool, Royaume-Unis. Après huit jours de bateau et deux jours de train, il parvint le 30 août à Camp Chiseldon, près de Swindon Wiltshire, une région peu développée. Les hommes furent obligés d’aménager les lieux avant de reprendre leurs entraînements et leurs manœuvres intensives diurnes et nocturnes dans les campagnes environnantes.

En septembre, la 17th Airborne Division fut placée en état d’alerte, comme renfort éventuel des 82nd et 101st Airborne Division engagées aux Pays-Bas dans l’opération Market-Garden, mais elle ne dut pas intervenir. Occasionnellement, Lynn profita de permissions pour visiter Londres ou des lieux touristiques ce qui lui permit de se divertir quelque peu.

 

Prélude à l’enfer :

Le 19 décembre 1944, le 193rd Glider Infantry Regiment (GIR) fut averti qu’il allait être transféré d’urgence dans les Ardennes belges, pour faire face à l’offensive allemande lancée trois jours plus tôt. Les préparatifs se firent précipitamment. Le 21 décembre en soirée, le 2nd Battalion (2/193GIR), commandé par le Lieutenant-Colonel Harry Balish, rejoignit Membury Airfield, Berkshire où il devait immédiatement embarquer dans les avions de transport C-47. Toutefois, la météo empêcha d’effectuer le pont aérien avant le 24 décembre en fin d’après-midi. Lynn atterrit alors à l’aérodrome A-79 de Prunay, près de Reims, France. La division passa sous le commandement de la 3rd Army du Général George Patton. Après un bref passage au camp de Mourmelon le jour de Noël, le 2/193GIR fut transporté en camion vers Boulzicourt, près de Charleville-Mézières. Le Pfc Aas et son bataillon restèrent dans la région jusqu’au 1er janvier 1945, établissant des barrages routiers, gardant les ponts sur la Meuse et effectuant des patrouilles de sécurité sur les deux rives, afin de constituer une ligne de défense en cas d’expansion de la percée ennemie.

Le jour de l’an 1945 en soirée, Lynn embarqua dans un camion qui l’amena à Massul, près de Neufchâteau, Belgique, avant de continuer vers Sibret le lendemain. Le 3 janvier en d’après-midi, le 2/193GIR passa sous les ordres de la 101st Airborne Division qui l’appela dans les bois près d’Isle-le-Pré, au sud-ouest de Bastogne, en tant que réserve divisionnaire. La neige était profonde d’environ soixante centimètres, la visibilité réduite à moins de cinq cents mètres et la température atteignit les -6°C.

Le 4 janvier, sous de fortes chutes de neige continues et dans le brouillard, le reste du régiment passa également sous contrôle de la 101st Airborne Division et demeura en réserve. Vers 17 heures, le soldat Aas arriva dans les bois au nord-ouest de Villeroux, en soutien de l'attaque du 513PIR dont c'était le premier jour de combat pour prendre Flamièrge. Lynn se souvient de son arrivée à proximité de Bastogne :

« Les combats précédents ont dû être rudes, car de nombreux cadavres américains et allemands jonchaient le sol ; ils étaient figés par le gel. Les destructions ne manquaient pas. Alors que nous creusions nos foxholes, le service des sépultures vint collecter les corps à l'aide de deux camions, un second pour les Allemands. Tous étaient empilés. Ce fut ma première expérience avec le traumatisme du combat. »

Commençant à réaliser ce qui l'attendait, il essaya de se convaincre que pour survivre, il devra peut-être tuer, chose dont il ne se sentait pas capable. Pour s'endurcir, il adopta un approche particulière :

« J'ai marché vers le cadavre d'un Allemand, jeune, blond et grand. Après un moment de réflexion, j'ai commencé à lui donner des coups de pied, pour me prouver que je pouvais lui faire du mal. Il était mon ennemi et c'était la guerre. Ces visages sans vie me faisaient penser à mes amis ukrainiens et allemands avec lesquels j'avais grandi. Je n'avais pas envie de tuer, mais j'y étais obligé, si je voulais survivre.»

Le 5 janvier vers midi, le 2/193GIR s'installa à l'ouest de Mande-Saint-Etienne, dans deux petits bois isolés. Lynn y resta pendant deux jours, jusqu’au moment fatidique de se lancer à l’attaque des positions allemandes. Les premiers cas d’engelures se déclarèrent à ce moment. Le 6 janvier, le régiment constituait le flanc droit de la 17th Airborne Division à laquelle il fut restitué par la 101st Airborne Division, sa voisine à l’est. Le bataillon de Lynn reçut pour mission de prendre, le lendemain, l’ensemble des bois situés à l’est de Flamisoul, à la croisée des routes de Champs, Mande-Saint-Etienne et Flamisoul.

 

Les Ardennes belges ou la fin de l’innocence :

Le dimanche 7 janvier 1945 fut le tout premier jour de combat du 193GIR, une date gravée à jamais dans la mémoire du soldat Aas. La couche de neige atteignit le genou, la température avoisinait les -6°C et le brouillard limitait la visibilité de vingt à deux cent cinquante mètres en fontion du terrain. Le 1/193GIR se mit en position au sud de Flamisoul et le 2/193GIR à l’est de Mande-Saint-Etienne. Ils attaquèrent à 8 heures 15 après une préparation d’artillerie. Profitant du brouillard, Lynn et ses camarades avancèrent jusqu’à la route reliant Mande-Saint-Etienne à Champs. Découverts en pleine pâture, ils furent cloués par les mitrailleuses, les mortiers et l’artillerie allemande retranchée dans le bois dont la prise constituait leur objectif final. Au plus la compagnie D, commandés par le Captain Jerry Stuhrman, approchait du bois, au plus sa progression devint ardue. Les mortiers de soutien, restés en arrière, ne purent influencer l’issue de la bataille face aux mitrailleuses et aux obus de 88mm. Devant Flamisoul, le 1/193GIR connut pareil sort et ne sut même pas atteindre sa première ligne d’objectif. Le 2/193GIR, parvint néanmoins à entrer dans le bois, mais dut subir une forte résistance ennemie.

La situation s’enlisa au point qu’à partir de 16 heures le Colonel Stubbs, comandant le 193GIR, ordonna le retrait de son régiment. A la tombé de la nuit, le bilan fut misérable. Les 104. Et 108. Panzer Grenadier Regiments de la 15. Panzer Division infligèrent au régiment la perte fatale de 144 hommes sans compter les blessés et les disparus. Au cours de ce véritable enfer, Lynn perdit son Platoon Leader, son Squad Leader, son assistant, son Platoon Sergeant et le 60mm Mortar Squad Leader qui accompagnait son peloton. Tous furent sévèrement blessés. Garold Tidball, avec qui il avait partagé son foxehole la nuit précédente, décéda sous ses yeux.

« Sous cette pluie de métal, j’étais plaqué au sol avec Garold, juste derrière un léger parapet. J’étais effrayé et presque en panique, mais j’avais un désir absolu de survivre ! Je me suis rendus compte que les tirs étaient calibrés sur nous et j’ai insisté auprès de Garold pour foutre le camp. Il me répondit qu’ici ou ailleurs c’était pareil. J’ai bougé de cinquante mètre environ, sans lui. Un autre obus tomba alors juste à l’endroit que je venais de quitter. La partie droite de son visage fut emportée, il mourut sur le coup à peine trois ou quatre heures après avoir commencé à nous battre. Ironie du sort, la nuit précédente, Garold me répéta qu’il savait qu’il allait être tué ».

La fin de journée fut longue et pénible pour Lynn Aas qui se retrouva isolé et harcelé par une mitrailleuse.

« Lorsque l’obscurité tomba, alors que j’avançais dans un champ, les Allemands m’ont tiré dessus avec une mitrailleuse installée à moins de cent mètres, cela dura une heure environ. J’étais cloué au sol enneigé, tapi dans un petit repli du terrain. Dix mètres devant moi gisait le corps sans vie de Richard Miller ainsi qu’un autre de mes camarades mortellement touché derrière moi. Le voyais passé les balles à quinze centimètre de mon épaule et de mon cou, mais elles ne me touchèrent jamais. J’ai été incapable de bouger pendant plusieurs heures jusqu’à ce que se produise une forte chute de neige, c’est alors que j’ai su commencer à ramper pour me sortir de là. Même si j’étais en mauvaise position, je n’ai jamais pensé à me rendre ! » Lynn ne retrouva sa compagnie que le lendemain vers 10 heures, après avoir crapahuté dans la neige pour éviter d’être vu par l’ennemi. Trempé et frigorifié, il arriva à un foxehole occupé par deux soldats du 327GIR, 101st Airborne Division, qui l’accueillirent jusqu’au lever du jour. Lors de son rapport, il fournit à ses supérieurs des renseignements utiles sur les positions de l’ennemi, fait pour lequel on lui attribua la Bronze Star Medal. Après ce premier jour de combat, le bilan du squad dont fit partie Lynn n’était pas bon : sur treize hommes, il n’en restait déjà plus que cinq valides pour continuer le combat ! Pareil cas se présenta souvent au sein de sa compagnie et d’autres.

Le jour suivant, les victimes du froid s’ajoutèrent aux victimes du combat, élevant encore les pertes de la compagnie D. Du 9 au 12 janvier, placé en position défensive, le 2/193GIR releva le 327GIR dans le village de Champs et les bois au sud de la localité, menant des patrouilles de reconnaissance, établissant des postes d’observation et faisant des prisonniers. L’artillerie allemande tonnait épisodiquement. La météo ne s’améliora pas, excepté le 12 janvier en après-midi, lorsque le ciel se dégagea un peu, autorisant ainsi l’intervention de l’aviation alliée. Lynn participa alors à des patrouilles et des missions d’observation de l’ennemi.

Dans la nuit du 12 au 13 janvier, les Allemands ayant évacué le terrain, le 193GIR se plaça devant Flamisoul et devant le bois qu’il ne sut pas prendre le 7 janvier. A 8 heures 15, l’avance vers le nord commença, passant par Frenet, Givry et Gives, obliquant ensuite vers le nord-est en direction de Bertogne qui fut atteint en début d’après-midi. Les deux bataillons s’installèrent dans les bois entre Bertogne et Longchamps. Ils apprirent qu’ils alleitn être intégrés à des éléments de la 11th Armored Division pour former deux « Task Forces » destinées à prendre en tenaille une poche de résistance à Compogne, situé trois kilomètres plus à l’est, sur la route d’Houffalize. Lynn et son bataillon se retrouvèrent au sein de la « Task Force Bell » qui progressa, dès 10 heures le 15 janvier, au nord de la route. Malgré des tirs d’artillerie et de mortiers et la destruction de quelques chars, les villages de Rastate et de Compogne furent atteints vers 16 heures. Au sud, la « Task Force Stubbs », incluant le 1/193GIR, rencontra une résistance ennemie croissante et ne sut prendre son objectif que le lendemain matin. De nuit, les deux groupes menèrent d’efficaces patrouilles de reconnaissance vers l’est.

Le 16 janvier, le régiment avança rapidement et atteignit le village de Cowan, situé à deux kilomètres et demi au sud-est d’Houffalize, cédant sa place au 194GIR. Dès minuit, le 17 janvier, le 193GIR fut relevé par le 507PIR et mis en repos à Mabompré jusqu’au matin du 21 janvier. Pendant ce temps, la division continua de progresser très rapidement, au point que l’intendance et la nourriture n’arrivèrent plus à suivre, les hommes durent se contenter de vivres pris à l’ennemi ou glanés dans les fermes.

Dès le 21 janvier, le 193GIR rattrapa la division dans les bois au sud-ouest de Tavigny, malgré la neige, la glace, les barrages routiers érigés par les Allemands en retraite et les mines de plus en plus nombreuses. Le Pfc Aas atteignit Limerlée le lendemain en début d’après-midi et s’apprêta à entrer au Grand-Duché de Luxembourg par Hautbellain, continuant de pourchasser les restes des 9. Et 130. Panzer Division et de la 26. Infanterie Division en retraite vers la Ligne Siegfried.

L’attaque du village commença le 23 janvier à partir de 8 heures 90. Sur le coup de 14 heures, la compagnie de Lynn nettoyait le village. Elle dut une nouvelle fois faire face à des tirs d’artillerie et une résistance soutenue, mais prit néanmoins son objectif. Deux heures plus tard, des patrouilles de sa compagnie partirent en direction de Huldange, préparant la progression du lendemain. Elles ramenèrent des prisonniers, constatèrent que la route et le village étaient piégés et que deux ponts avaient été dynamités.

Le 24 janvier, toujours sous la menace de l’artillerie et des mitrailleuses, le 2/193 progressa vers le nord-est en longeant la frontière séparant Wattermal et Huldange, sécurisa un bois et fit sa jonction avec le 1/513PIR arrivé par le nord. Toute la journée, il fallut repousser les Allemands qui tentaient désespérément de retarder les Américains. Installé dans ce bois pour la nuit, le 193GIR fut rejoint par le 194GIR.

 

Jusqu’aux contreforts de la ligne Siegfried :

Le jeudi 25 janvier 1945 marqua un tournant théorique dans l’histoire du régiment : la « Bataille des Ardennes » prit fin et la « Campagne de Rhénanie » débuta. Le 2/193GIR continua à soutenir le 194GIR avant d’être transféré en camion à Erpeldange-les-Wiltz, le lendemain à 22 heures, pour y relever des éléments de la 26th ID et du 317th IR, 80th ID. Cette courte pause permit d’intégrer des remplaçants, nettoyer les armes et entretenir le matériel. Arrivé à Bockholz-les-Hosingen le 27 janvier en soirée, le bataillon envoya deux patrouilles à Hosingen pour analyser la situation. Elles constatèrent que le 988. Volksgrenadier Regiment, 276. Infanterie Division, avaient désertés, mais avaient piégées le village. Le lendemain, le 2/193GIR entra pleinement dans la localité et conquit ses hauteurs au nord-est et au sud-est, pendant que le 1/193GIR était maintenu en réserve à proximité. Il s’agissait des préludes à un mouvement d’envergure destiné à repousser les Allemands au-delà de la frontière de leur pays et de la Ligne Siegfried.

Le 29 janvier à 14 heures, dans la neige jusqu’aux genoux, le 2/193GIR attaqua et atteignit presque la rivière trois heures plus tard. Toutefois, la résistance allemande força les Américains au repli, à grand renfort d’artillerie. La compagnie D souffrit une nouvelle fois de pertes. Continuellement sur la défensive jusqu’au 31 janvier, Lynn participa à des patrouilles nocturnes qui parvinrent à s’infiltrer à moins de six cents mètres de la Ligne Siegfried pour en jauger la force, certaines réussirent même à atteindre la rivière. Des postes de défense et d’observation furent aussi établis pour observer les bunkers, les nids de mitrailleuses et les positions d’artillerie ennemies qui grouillaient d’activité. Le régiment fit alors face à la 5. Fallschirmjäger Division. Le climat ne variait pas : la température était basse et la visibilité limitée. Depuis un mois, les nerfs de Lynn étaient mis à rude épreuve, car il fallut continuellement nettoyer les petites poches de résistance, les Allemands étaient partout.

« Combattre un ennemi intelligent n’était déjà pas un boulot facile, mais faire face aux sévères conditions météorologiques de cet hiver 1945 nous soumit tous à un test d’endurance physique et mentale, allant bien au-delà de toute compréhension. Seuls ceux munis d’une forte volonté et d’une bonne condition physique furent capables de survivre. C’est grâce à la chance et à Dieu que j’en suis sorti vivant. »

Le dernier jour de janvier, le soldat Aas rejoignit Erpeldange-les-Wiltz où il resta en repos jusqu’au 10 février. Ses camarades et lui logèrent principalement dans des granges et des édifices publics, mais tous estimèrent que c’était le paradis. Depuis son arrivée en France, cinq semaines plus tôt, il n’avait dormi que deux fois dans un bâtiment !

« La première fois, j’ai dormi dans une grange belge jouxtant une maison, une seconde fois à même le sol d’une bâtisse située dans un creux de terrain quelque part au cours de notre avance. Toute la nuit, notre artillerie de 240mm tira depuis l’arrière de la petite construction, à chaque fois l’effet de souffle faisait bourdonner mes oreilles ».

Lors de cette période les hommes du bataillon aidèrent au déblaiement des décombres et à l’élimination des munitions dangereuses. Ce fut également à ce moment que la température augmenta, provoquant la fonte progressive de la neige et la découverte de plusieurs cadavres. Du 2 au 4 février, ils passèrent par un centre de repos installé au collège Saint-Joseph de Virton, Belgique, où ils reçurent, bien que trop tard, des surbottes, des chaussettes épaisses, des gants de rechange et des vêtements propres, après avoir largement apprécié un bain chaud ! Suite à tant d’épreuves, de douleurs et de peurs, cet interlude à l’arrière des lignes fut plus  que bienvenu pour Lynn.

Le Pfc Aas se souvient des terribles pertes de sa compagnie au cours de cet hiver : plusieurs dizaines de soldats manquèrent à l’appel, car morts, blessés, disparus ou évacués pour cause d’engelures. Pour exemple, son Platoon renforcé engagea le combat le 7 janvier avec cinquante-cinq hommes, mais, un mois plus tard, seul cinq demeuraient indemnes, soit 9% de l’effectif initial ! Les cinq frères d’armes furent les Pfc Lynn Aas et John Madoni Jr, les Pvt William Simington, Willard Mincks et Richard Elzey. A l’issue de cette bataille, la compagnie d’état-major du 2/193GIR, encore la plus fournie de toutes, comptabilisait quatre-vingt-un hommes et officiers sur environ cent quatre-vingts, alors que la plus faible n’était plus composée que de neuf soldats ! Le 193GIR fut d’ailleurs l’une des unités américaines qui supporta un très grand taux de pertes lors de la Bataille des Ardennes. Début janvier, le Général Patton avait estimé que la 17th Airborne Division se mesurerait à des unités allemandes décimées et en déroute, mais la réalité fut toute autre.

Au combat, Lynn portait l’uniforme standard vert olive à grandes poches sur les cuisses, la poitrine et à la taille, sans grade ni insigne. Dès que possible, il chaussait des surbottes. Une paire de gants à paume de cuir, une couverture, une capote et des sous-vêtements longs en laine constituaient sa protection contre le froid. Il se souvient avoir reçu de nouveaux sous-vêtements environ toutes les deux semaines pendant son passage en France, en Belgique et au Grand-Duché :

« Il faisait froid que je me limitais juste à enfiler chaque couche l’une sur l’autre, au point que je portais trois caleçons longs en dessous de deux pantalons de laine ! Ce nombre de couches fut un grand problème lorsque je souffris de dysenterie provoquée par les nombreuses rations K mangées froides. Malgré cela, j’avais toujours faim ».

L’hygiène fut quasi inexistante, car se laver, se brosser les dents et se raser était impossible par manque de moyens et d’occasion. Son armement personnel se composait d’un fusil M1 Garand de cal.30, d’une baïonnette et de grenades défensives.

 

Châlons-sur-Marne, une nouvelle ère :

Le 6 février 1945, l’Etat-Major de la 17th Airborne Division apprit que l’opération « Varsity » visait à établir une tête de pont sur la rive est du Rhin tout au début du mois d’avril. Elément capital de cet assaut aéroporté, la division dut quitter le Grand-Duché de Luxembourg afin de se préparer. Ainsi le 193GIR arriva à Camp Châlon-sur-Marne, France, le 11 janvier à 19 heures 30. A son arrivée, Lynn participa à l’aménagement des lieux, car rien n’existait et tout restait à installer. Le camp fut fort boueux à cause de la météo capricieuse, mais elle ne se révéla jamais pire qu’auparavant. Le Pfc Aas logea alors dans une tente collective de forme pyramidale. Les conditions de vie revinrent sensiblement à la normale, mais ce ne fut pas encore le confort du temps de paix pour Lynn qui, de plus, devint souffrant :

« C’est à ce moment que j’ai développé une sévère infection à la joue gauche, elle enfila et contraignit mon œil à se fermer. Mon œil droit connut le même problème et j’ai dû être hospitalisé, les sulfamides et la pénicilline m’apportèrent la guérison. Ma dysenterie prit également fin. »

Les lourdes pertes d’effectifs subies en janvier précipitèrent le démantèlement du régiment le 1er mars. De ce fait, Lynn intégra la Able Company, 194th Glider Infantry Regiment (A/194GIR), toujours comme fantassin régulier. De nombreux entrainements, perfectionnements et vols d’exercices se déroulèrent intensivement pendant un mois. La date de l’opération fut avancée en raison de l’évolution rapide des troupes au sol.

Varsity était une opération top secret, mais les services de renseignement allemands ont été alertés dès le 10 Mars. Des unités anti-aériennes ont été transportés à la zone de Wesel, sur les rives du Rhin pour accueillir la 6th British Airborne Division et son unité sœur la 17th Airborne Division. Le 21 Mars, Lynn est monté à bord d'un camion, puis un train, pour se rendre à l'aérodrome A58 situé à Coulommiers, à environ 45 miles à l'est de Paris. Le D-day était pour le 24 mars.

 

« Operation Varsity » combat au cœur du Reich

Le 24 mars 1945, Lynn Aas fut réveillé à 4 heures 30 du matin. Il prit ensuite son petit-déjeuner, s’équipa entièrement et prit place à bord d’un des treize planeurs CG-4A « Waco » réservés à sa compagnie au sein du Serial A-9. Le décollage de son planeur à destination de la « Landing Zone – S » située au nord-est de Wesel en Allemagne, eut lieu à 7 heures 30. Un avion de transport C-47 « Dakota » assura la traction de son planeur ainsi que celui d’un autre squad. Après un vol relativement serein dans des conditions météorologiques parfaites, le planeur fut pris pour cible et endommagé par la Flak en survolant le Rhin.

Vers 10 heures 36, malgré une mauvaise visibilité due au bombardement préparatoire, aux explosions, aux écrans de fumée artificielle et aux incendies, Lynn et ses onze compagnons à bord touchèrent le sol avec tumulte :

« Mon planeur atterrit dans un champ situé à l’intérieur du périmètre défini. Le contact fut rude. L’appareil glissa dans l’herbe mouillée, défonça quelques clôtures de fils de fer et percuta un autre planeur. Sous le choc, notre aile gauche se détacha, tout comme celle de l’autre planeur. Nullement arrêtés par ce premier obstacle, nous avons ensuite heurté un deuxième planeur, ce qui provoqua la perte de notre aile droite ! »

Le petit groupe sortit en hâte de la carlingue et participa peu de temps après à la capture d’une cinquantaine de prisonniers, avant de se diriger vers sa position de combat prédéfinie par le plan. La majorité du 1/194GIR se posa comme prévu, dès 10 heures 30, à l’ouest de la rivière Issel. Sa mission fut de prendre et de sécuriser ce cours d’eau et de capturer ses ponts, de cruciaux points de passage. Si la résistance ennemie sir la LZ-S prit fin à 11 heures 15, les combats continuèrent aux alentours. Vers midi, le régiment fut rassemblé à 75% et trois heures plus tard, il occupa définitivement le terrain, bien que des tirs sporadiques de snipers perdurèrent jusqu’au lendemain. Le soir même, le 1/194GIR tenait solidement ses positions sur la berge ouest de la rivière, malgré l’établissement par les Allemands d’une ligne de défense sur la rive opposée.

Au cours de la journée, alors que la compagnie B se tenait en réserve un peu en retrait de la ligne de front, la compagnie A, dont Lynn faisait partie, s’était facilement étendue sur près de neuf cents mètres le long de l’Issel, du sud au nord, depuis l’écluse « Bärenschleuse ». La compagnie C, quant à elle, éprouva des difficultés à atteindre son objectif, car elle dut faire face à de nombreuses escarmouches causées par de petits groupes d’Allemands retranchés dans des fossés et des bosquets boisés situés au nord-est, près des hameaux de Grenzenlust et Vierwinden. Au sud de la LZ-S, le 2/194GIR s’était étendu sur sa ligne de front prévue le long du canal de l’Issel, de Wesel à l’écluse. Dans son ensemble, le régiment affronta ce jour-là des éléments de la 84. Infanterie Division appuyées par plusieurs unités éparses de Flak 20mm et 88mm, ainsi que de canons automoteur « Stumgeschütz ».

Le 25 mars, après une nuit digne du 4 juillet éclairée et rythmée par les tirs d’artillerie et d’armes légères, la A/194GIR essuya plusieurs escarmouches pendant qu’elle nettoyait les environs de sa position.

« Vers 14 heures, j’ai perdu mon camarade John Madoni. Il fut tué par une balle bien ajustée par un sniper. Il était l’un de mes cinq copains de peloton qui sortirent indemnes de la bataille des Ardennes ».

En fin d’après-midi, une fois la situation devenue plus paisible près de Lackhausen, le peloton du Pfc Lynn Aas s’établit dans un petit bois où il trouva couvert. Ses camarades et lui creusèrent des trous pour se protéger, une contre-attaque allemande étant toujours possible.

« Willard Mincks et moi étions en train de nous installer dans notre foxhole pour la nuit lorsque les Allemands ont ouvert le feu dans les arbres avec leur artillerie. Une explosion se produisit juste au-dessus de moi et je fus touché au bras gauche par un éclat d’obus. Ce fut la fin de mon combat. »

Lors de l’opération, Lynn portait l’uniforme standard vert olive à grande poches des troupes aéroportées, orné du drapeau américain sur le haut de la manche droite. Il portait aussi des sous-vêtements longs, un chandail, des gants à paumes de cuir, des grenades et un paquet de premiers secours noué sur le filet de son casque. Son armement personnel restait le fusil M1 de cal.30 et son équipement individuel se composait du harnais, du ceinturon, d’une musette, d’une gourde, d’une pelle pliante et d’une baïonnette.

 

La fin d’une époque :

Le 26 mars 1945, un camion amphibie transporta Lynn sur la rivière ouest du Rhin vers un hôpital militaire fait de tentes. Rapidement, un train sanitaire l’amena en Belgique où, le lendemain vers 2 heures du matin, un chirurgien enleva les éclats fichés dans son bras.

« La meilleure partie de cette histoire fut mon réveil : la première personne que me parle fut une magnifique infirmière de la Croix-Rouge. Elle me donna un paquet d’articles de toilette et me questionna pour écrire un courrier à mes proches ! »

Ensuite, la convalescence du Pfc Aas ressembla presque à un tour en Europe et en Amérique du Nord.

Après avoir été opéré en Belgique, le 27 mars 1945, Lynn séjourna environ six semaines dans un hôpital militaire installé à Paris, France, où du personnel médical continua à traiter sa plaie. Capable de se déplacer et ne se considérant pas comme physiquement limité, il profita souvent de la situation pour visiter la ville, malgré son bras maintenu en écharpe. Ce fut dans la capitale française qu’il apprit avec émotion le décès du Président Franklin Roosevelt le 24 avril. Peu après l’annonce de la capitulation des armées allemandes le 8 mai, Lynn quitta Paris pour revenir à l’aérodrome de Ramsbury, Royaume-Uni. L’étape suivante de son périple eut lieu le 21 mai lorsqu’il embarqua à Bristol à bord d’un navire-hôpital qui, après huit jours de traversée, arriva dans le port de New-York.

L’Armée décida alors d’envoyer Lynn sur la côte ouest, dans un autre hôpital militaire à Spokane, état de Washington. Il est fort probable que ce transfert fut entrepris dans le but de rapprocher des siens. Son séjour près de la côte ouest fut entrecoupé d’une permission afin de pouvoir passer quelques jours avec ses proches. Ses parents avaient quitté le monde rural pour s’installer à Valley City, North Dakota, car son père n’était plus physiquement apte à gérer sa propriété et sa ferme. Le 15 août, lors de ce passage en famille, il apprit avec grande joie à la radio la reddition des forces japonaises. De Spokane, le soldat aboutit finalement à Hot Springs, Arkansas, où il participa à la gestion d’un camp de prisonnier de guerre japonais.

Il possédait alors suffisamment de points pour être démobilisé, fait conforté par les soins que nécessitait son père hospitalisé à cette période. Plutôt que de lui concéder une permission pour urgence personnelle, l’autorité militaire lui accorda sa démobilisation honorable le 1er novembre 1945 au Separation Center de Hot Springs, six semaines après la désactivation de la 17th Airborne Division, le 16 septembre à Camp Myles Standish.

La blessure et la convalescence de Lynn firent qu’il ne vécut pas le parcours de son unité en Allemagne. Dès le 26 mars, son bataillon commença une progression qui devint de plus en plus rapide. Chaque jour, la résistance allemande s’émoussait un peu plus et des centaines de prisonniers furent faits dans les nombreux villages traversés, tels que Lembeck, Wulfen, Dorsten, Dülmen, Haltern et Nottuln. Le 2 avril, le 194GIR prit la ville de Münster avec le concours du 513PIR. Après avoir effectué un virage vers le sud-ouest en direction du bassin industriel de la Rühr, le régiment livra l’un de ses derniers combats, près d’Arnsberg, le 16 avril. S’il était arrivé indemne jusque-là, le Pfc Aas aurait séjourné à Duisburg avec ses camarades. Il ne connut pas non plus les huit semaines estivales passées de la mi-juin à la mi-août en garnison dans une caserne à Lunéville, département de la Meurthe-et-Moselle, France, avant d’embarquer sur le navire qui l’aurait ramené aux Etats-Unis.

 

 

Une vie pleine de succès :

Rendu à la vie civile, Lynn Aas reprit ses études à l’UND, devint bachelier en Commerce en 1948 et décrocha un doctorat en Droit un an plus tard. Il travailla ensuite comme agent spécial à l’Internal Revenue Service, agence gouvernementale qui collectait diverses taxes, l’impôt sur le revenu et faisait respecter les lois fiscales. Il résidait alors à Minnéapolis, Minnesota, où il rencontra Beverly Stockstad, une infirmière qualifiée originaire de Sioux Falls, South Dakota, qu’il épousa en 1952. Peu de temps après, le couple emménagea à Fargo, North Dakota. En 1960, ils s’installèrent à Minot, North Dakota où Lynn géra les affaires de la « Medical Arts Clinic ». Bénéficiant de son doctorat en Droit, il siégea au Parlement du North Dakota en 1967, 1969, 1987 et 1989 et fut membre de la convention constitutionnelle de l’état en 1972. Il prit sa retraite de gestionnaire de la clinique en 1985 et depuis, s’investit bénévolement dans plusieurs organismes comme le « Minot Kiwanis Club » et la « Minot Chamber of Commerce » qu’il présida en 1975 et 1976. Il siégea encore dans le comité directeur du « United Way » qu’il dirigea en 1964. En matière d’éducation, Lynn encouragea le développement de la « Minot State University », en initiant notamment un programme de soins infirmiers. Cet engagement désintéressé au service de l’éducation lui valut de recevoir deux prix en 1983 et 1985 !

Le couple eut quatre fils : Davis, Paul, Daniel et Joseph. En 1999, Lynn participa à un voyage organisé en Europe par l’association des vétérans de la 17th Airborne Division, ce qui lui donna l’opportunité de retrouver les endroits qu’il connut 54 ans plus tôt. Il assista également plusieurs fois aux réunions des anciens de la division. Beverly décéda le 31 mars 2003. De nos jours, Lynn réside toujours à Minot, ville située à soixante kilomètres de son village natal et à quatre-vingts kilomètres de la frontière canadienne. Il aime aussi se ressourcer à Otter Tail Lake, Minnesota, et prendre du bon temps avec ses quatre fils et belle-fille et ses huit petits-enfants. Le golf est un de ses sports préférés.

Aujourd’hui encore, Lynn conserve des souvenirs de son service militaire : quelques pièces d’uniforme dont sa veste qu’il portait lorsqu’il fut blessé par un éclat d’obus. Son passage par l’ASTP et le MIT lui tiennent énormément à cœur, il en est très fier, même septante ans après.

Le Private First Class Lynn W Aas est récipiendaire des décorations suivantes : Glider Badge, Combat Infantryman’s Badge, Purple Heart Medal, Bronze Star Medal, Good Conduct Medal, American Thater Medal, European African Middle Eastern Thater of Operation Medal with one Bronze arrowhead and three Bronze Star Campaign Stars, WWII Victory Medal. Lynn servit d’abord aux Etats-Unis pendant un an et demi, puis huit mois et vingt-deux jours outre-mer, dont seize jours de traversée transatlantiques aller et retour. Revenu aux Etats-Unis, il servit encore cinq mois et trois jours jusqu’à sa démobilisation. Ainsi, son service au sein de l’armée des Etats Unis dura deux ans et huit mois. Il fut engagé dans les campagnes « Ardennes », « Rhineland » et « Central Europe ». Les brevets d’Expert Rifleman au fusil M1 ainsi qu’au fusil mitrailleur BAR, obtenus pendant son entrainement de base, s’ajoutent également à cette liste. La Purple Heart Medal lui fut décernée pour sa blessure reçue au combat le 25 mars 1945, en Allemagne. La Bronze Star Medal lui fut attribuée pour action héroïque et méritoire. La citation officielle accompagnant cette décoration relate que, suite à la bataille du 7 janvier 1945 près de Mande-Saint-Etienne, Belgique, il parvint à s’échapper des lignes ennemies et à rapporter des renseignements utiles au commandement de son unité.

Lynn Aas lors de son grand retour en Belgique le 24 mars 2015.